Encres
Visage - Corps - Chambre - Paysage
ENCRE TOI ET LE MONDE
Nathalie Vannereau
Une pâte onctueuse, écrasée, serrée dans la paume, passe à travers les doigts. La terre ne se dissout pas complètement dans l’eau. L’eau n’engloutit pas totalement la terre. La terre et l’eau dansent ensemble. Pétrouiller, c’est le mot qui réunit la terre et l’eau dans une jubilation incommensurable. C’est un mot maternel d’un argot périgourdin qui contient du mouillé et l’acte de pétrir*. L’aspect sale et boueux n’en est pas exclu, ce qui n’enlève rien au plaisir au contraire. Ce couple qui en découle, sale et interdit, ajoute encore un adjuvant de jouissance à cette activité totalement gratuite qui finalement ensoleille mes jours depuis l’enfance.
Aujourd’hui, l’eau transparente plonge dans l’épaisseur de la nuit. La terre obscure se couche dans un désert de sel. De l’eau à l’encre, de la terre au papier, les matières provoquent toujours une rencontre merveilleuse, un « entretien infini » avec la main ou ce qui s’y rapporte… Brindilles, bâtons, pinceaux, couteaux, spatules, herbes sèches, barbes de maïs, racines entrent dans l’expérience. Un peu de la nature sauvage griffe et s’incorpore dans le papier. L’encre des calligraphes infuse une écriture de vent qui précédait la main. Juste ça.
L’aire de jeu provoque des naissances. Des visages perdus dans les méandres de l’encre et sous l’épaisseur du papier, parfois, saisissent une possibilité d’émergence. Proportion, durée, contact, pression, vitesse, une certaine combinaison de ce mélange les laisse passer. Ils sont là. Ils attendent. D’autres attendent aussi, encore inconnus, paysages de nulle part, organes non répertoriés, troncs d’écorce ou de chair, des chambres, des lieux sans nom. J’attends avec eux… les aide à passer quelquefois vers une existence plus ou moins heureuse… c’est à peu près tout.
* Dans un patois des Grandes Armoises, pétrouiller signifie plutôt pétiller, étinceler
« si le feu pétrouille en dedans, les nouvelles sont mauvaises, en dehors, elles sont bonnes. »
Mais rien à voir avec ce qui nous occupe ici.